Idriss Lissom
Directeur de Publication, Comnews

La publicité, ce miroir de nos so- ciétés, se retrouve aujourd’hui brisé en trois éclats distincts au Cameroun. Au cœur de cette

fragmentation, un simple mot : agré- ment. Autrefois perçu comme un out- il de régulation et de structuration du secteur, l’agrément publicitaire est de- venu, au fil des années, une machine à diviser, à frustrer et à interroger. Il cris- tallise les tensions d’une corporation qui n’arrive plus à parler d’une seule voix, face à un État qui semble sourd à ses réalités.

LES TROIS COURANTS, OU LA SYMPHONIE DES DÉSACCORDS

En observant la corporation publici- taire, trois camps distincts se dessi- nent, chacun avec ses convictions, ses stratégies et ses failles.

  1. Les légalistes : les gardiens de l’ordre établi

Ils incarnent le respect absolu de la rè- gle, convaincus que l’obéissance aux lois, quelles qu’elles soient, est la seule voie pour préserver leur place dans un écosystème fragile. Ces agences ac- ceptent les exigences de l’agrément, de la lourdeur administrative à la taxe de 2

%, même si elles en souffrent en silence. Pour elles, la stabilité, même impar- faite, vaut mieux que le chaos. Mais leur docilité pose une question dérangeante

: peut-on se plier indéfiniment à un sys- tème qui ne protège personne ?

  • Les pragmatiques : les équilibristes du compromis

Ils jouent sur deux tableaux. Officielle- ment, ils soutiennent la contestation des taxes excessives et des redevanc- es injustes. Mais en coulisses, certains déposent leurs dossiers d’agrément en douce, préférant éviter une mise à l’écart. Ces agences incarnent l’art du compromis dans un contexte où les rè- gles semblent impossibles à contourn- er. Leur posture, bien qu’habile, soulève un paradoxe : peut-on négocier effica- cement tout en restant dans les clous ?

  • Les révolutionnaires : les voix de la rupture

Ce sont les insoumis. Pour eux, l’agré- ment n’est pas seulement inefficace, il est nuisible. Ils refusent de jouer le jeu et appellent à un boycott total, convain- cus que seule une refonte complète du système pourra sauver le secteur. Leur discours est puissant, mais leur posture radicale risque de les isoler si les autres courants ne les rejoignent pas. Leur défi est clair : peuvent-ils transformer leur colère en une force capable de mobilis- er la profession tout entière ?

Pour peser face à l’État, la profession doit cesser de se fragmenter en querelles intestines et

transformer ses désaccords en une force collective.

UN CADRE OBSOLÈTE FACE À UN SECTEUR EN MUTATION

Ce débat autour de l’agrément met en lumière une réalité plus profonde : le cadre juridique de 1990 est dépassé. À une époque où les influenceurs, les plateformes numériques et les médias en ligne dominent le marché, l’agré- ment se limite à réguler les agences traditionnelles, laissant prospérer une informalité galopante.

Pire encore, même certaines institu- tions publiques contournent ce cadre, confiant leurs campagnes à des ac- teurs non agréés. Comment espérer une régulation équitable quand l’État

lui-même ne respecte pas ses propres règles ? Pendant ce temps, les agences légitimes, prises dans un étau fiscal et administratif, se retrouvent désavan- tagées face à des opportunistes sans contraintes.

L’enjeu : une réforme ou une implosion L’agrément publicitaire, dans sa forme actuelle, est un fossé qui s’élargit entre les acteurs du secteur. Mais il pourrait devenir un pont – à condition de ré- former en profondeur le système.

  • Les légalistes ont raison sur un point : il faut un cadre pour structurer et protéger le secteur. Mais ce cadre doit être adapté aux réalités d’aujourd’hui.
  • Les pragmatiques apportent une nu- ance importante : le combat doit être stratégique, sans tomber dans l’illégal- ité.
  • Les révolutionnaires posent la ques- tion essentielle : pourquoi maintenir un outil qui ne fonctionne pas ?

La véritable bataille ne se joue pas dans les bureaux du ministère de la communi- cation, mais dans la capacité de la pro- fession à se réinventer. Ce n’est pas une taxe de 2 % qui est en jeu, c’est l’avenir même de la publicité au Cameroun.

UN APPEL À L’UNITÉ DANS LA DIVERSITÉ

Pour peser face à l’État, la profes- sion doit cesser de se fragmenter en querelles intestines et transformer ses désaccords en une force collective. L’agrément doit devenir plus qu’un sim- ple document administratif. Il doit être un label de qualité, un outil de valorisa- tion et un symbole d’excellence.

Mais cela ne se fera pas sans un dia- logue honnête entre ces trois courants. Les légalistes doivent comprendre que l’obéissance aveugle ne mène qu’à l’im- mobilisme. Les pragmatiques doivent choisir leur camp et cesser de jouer sur les deux tableaux. Et les révolution- naires doivent élargir leur discours pour rallier ceux qui hésitent encore.

Le temps presse. Si rien ne change, l’agrément restera une fiction bureau- cratique, et la profession continuera de s’affaiblir. Mais si nous avons le courage de poser les bonnes questions, peut- être pourrons-nous écrire un nouveau chapitre, non pas de division, mais de renaissance.

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